Gardien d’abeilles, formateur en ruches de biodiversité et ruches warré dans les Hautes-Pyrénées.
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Dave Goulson a réussi à réaliser des projets considérables en Angleterre, comme tenter de réintroduire leur bourdon endémique en rapatriant celui-ci de l’autre bout du globe, ou encore en créant le fond de conservation du bourdon. Les Anglais sont très sensibles au jardinage et à la biodiversité, Dave est une référence dans ce domaine dans son pays et il a aimablement accepté de répondre à quelques questions.
Bonjour Dave, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, pourriez-vous vous présenter succinctement et nous donner un aperçu de votre travail ?
Je suis Dave Goulson, professeur de biologie à l’Université du Sussex, au Sud de l’Angleterre. Je suis spécialisé sur les bourdons mais, plus largement, dans l’écologie et la préservation des insectes qui, comme vous le savez, rencontrent de nombreux problèmes et sont aujourd’hui en déclin. Ma mission est donc de faire tout mon possible pour les sauver, de ralentir voire d’inverser la tendance au déclin des insectes. J’effectue donc des recherches, j’enseigne à des étudiants à l’université, j’écris des articles scientifiques et des livres, je donne des conférences publiques, j’utilise également les réseaux sociaux pour essayer de passer le message.
La plupart des personnes accueillant des abeilles dans une ruche souhaitent leur redonner une chance de vivre dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, on sait que l’implantation de nombreuses ruches au même endroit peut avoir un impact négatif sur les populations d’abeilles sauvages. Comment voyez-vous cela du point de vue des bourdons ? L’abeille domestique et les bourdons sont-ils en concurrence ?
En ce qui concerne le nectar et le pollen, il n’y a aucun doute sur le fait que l’abeille domestique soit en concurrence avec les autres pollinisateurs. Une seule ruche peut atteindre 65000 individus à nourrir, ou même plus pour les grosses ruches de production. Elles effectuent des prélèvements sur les mêmes ressources florales que celles des pollinisateurs sauvages. Or, nous savons tous que l’une des raisons majeures de leur déclin est le manque de plantes ou d’arbres mellifères, donc tout ce qui contribue à réduire ces réserves agit négativement sur leur présence. Il est largement prouvé scientifiquement que les abeilles sauvages — et notamment les bourdons — ne prospèrent pas aussi bien s’il y a la présence d’un rucher à proximité. Il existe également un réel souci de propagation des maladies de l’abeille domestique vers les pollinisateurs sauvages. Le fait d’avoir déplacé les colonies d’abeilles à travers le monde a propagé de nombreuses maladies aux pollinisateurs sauvages du monde entier alors qu’elles étaient restreintes à une échelle locale. Le processus de transmission s’effectue généralement par le biais des fleurs, par exemple les abeilles mellifères peuvent être porteuses du virus des ailes déformées et le transmettre via les fleurs aux bourdons.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il faut se débarrasser des abeilles domestiques bien entendu, elles sont très importantes pour la pollinisation de certaines cultures agricoles et pour nous fournir du miel, mais il faut garder un équilibre. Les apiculteurs doivent être responsables : s’ils veulent accueillir plus de ruches c’est à eux qu’il revient de proposer davantage de nourriture. Il est à présent bien établi qu’afin de prospérer sans nuire aux autres pollinisateurs, une colonie d’abeilles domestiques doit disposer d’un hectare riche en ressources florales. Ainsi, si vous souhaitez accueillir une autre colonie d’abeilles mellifères, vous devez vous demander si vous êtes en mesure de proposer un autre hectare en ressources florales ; si ce n’est pas le cas, vous devriez renoncer à installer une autre ruche (il ne s’agit pas d’acquérir 1 hectare de terrain mais de fleurir un hectare de terrain supplémentaire).
Comment trouver le juste équilibre entre une ruche au jardin et pérenniser une population de bourdons ?
Il faut avoir une large diversité et une grande disponibilité de fleurs pour les différentes saisons mais si vous souhaitez maximiser la présence des abeilles sauvages dans votre jardin, je crains que la seule solution soit de ne pas mettre de ruche du tout. En installant une ruche, vous devez accepter l’idée d’agir à l’encontre des populations d’abeilles sauvages sauf si, comme expliqué précédemment, vous palliez le problème de ressources mellifères.
Dans votre livre Ma fabuleuse aventure avec les bourdons, vous évoquez les limites des nids à bourdons utilisés pour le maraîchage (60 000 sont importés de Grèce ou de Turquie chaque année vers le Royaume-Uni), pouvez-vous nous expliquer le problème que cela représente et comment la profession pourrait y remédier ?
C’est en effet méconnu, pourtant il y a un commerce de nids de bourdons, essentiellement des Bombus terrestris, qui sont majoritairement élevés en Belgique et Hollande. Cependant l’origine de ces nids est souvent peu claire, et ils proviennent parfois de Turquie ou de Grèce, issus d’énormes usines et vendus partout à travers le monde. Ce commerce a lieu sans que leurs acteurs se préoccupent de la propagation des maladies qui a lieu avec leur commercialisation. Une des conséquences est qu’il y a aujourd’hui des bourdons européens qui sont présents dans la nature au Japon et en Amérique du Sud, et cela bien entendu a un impact significatif sur les autres abeilles sauvages endémiques de ces régions. Il est irresponsable d’envoyer des bourdons européens en dehors de leur région, voire même dans certaines parties de l’Europe où ils ne sont généralement pas présents. Ils sont souvent utilisés pour polliniser dans les serres, les tomates et les poivrons, mais parfois également pour les arbres fruitiers ; pourtant je suis persuadé que nous pourrions aider les pollinisateurs sauvages à prospérer et effectuer cette tâche. Bien entendu, il est difficile d’inciter les abeilles sauvages à entrer dans les serres et de ce fait les professionnels favorisent l’installation de nids de bourdons.
Dans votre livre, vous faites également état des nombreux efforts déployés pour réintroduire le bourdon endémique du Royaume-Uni, le Bombus subterraaneus. Après avoir parcouru une bonne partie du globe à cette fin, qu’en est-il aujourd’hui ? Avez-vous un suivi positif de son implantation ?
Non, j’aurais aimé mais malheureusement nous avons échoué. Quatre années durant, nous avons introduit des reines bourdons de Suède (c’est une longue histoire que je développe en détails dans mon livre). À l’origine, nous avons tenté de les ramener de Nouvelle-Zélande — car ils avaient été introduits en 1895 par les Anglais — mais après une longue investigation, nous avons réalisé que la population en Nouvelle-Zélande n’est pas du tout en bonne santé. Nous avons donc réorienté notre choix sur la population de bourdons, Bombus subterraneus de Suède, nous avons rapporté plusieurs centaines de reines pour les relâcher dans le Sud-Est de l’Angleterre. Nous avons créé de nombreux sanctuaires pour les accueillir et sur ce point cela a été un succès. Malheureusement, il semblerait qu’elles ne se soient pas installées. Cependant, l’échec n’est pas certain car il s’agit d’une espèce difficile à identifier ; par conséquent, le contrôle est compliqué. Toutefois, il est peu probable que cela ait fonctionné. Par contre, il y a tout de même une bonne nouvelle : nous avons constaté que suite à la mise en place de ces zones d’accueil, d’autres populations rares de bourdons ont augmenté significativement… donc le projet a tout de même eu un impact positif.
Quelle est la situation des bourdons en Europe aujourd’hui ? Font-ils face, dans le même ordre de grandeur, aux problèmes rencontrés par les abeilles domestiques ?
Les bourdons — mais plus largement les pollinisateurs sauvages — souffrent de problèmes similaires. D’une part, ils manquent de ressources mellifères en quantité mais surtout en diversité, et de lieux sauvages de nidification. Quand ils trouvent des fleurs, elles sont souvent contaminées par des pesticides, et ils doivent lutter contre des maladies propagées par les abeilles domestiques, comme la nosémose ou le virus des ailes déformées. D’autre part, le réchauffement climatique commence à avoir un impact majeur sur les bourdons : dans le Sud de l’Europe ils commencent à disparaître car il fait désormais trop chaud.
Le frelon asiatique est-il un grand prédateur des bourdons ?
Oui, les frelons asiatiques se nourrissent de bourdons mais semblent davantage se focaliser sur les abeilles domestiques ; ce sont des opportunistes, prédateurs de nombreux insectes, mais, malheureusement pour les apiculteurs, ils semblent avoir une préférence pour l’abeille domestique.
Vous possédiez une propriété en France. Dans votre livre, vous racontez comment en partant d’un pré vous avez créé un sanctuaire pour abeilles sauvages. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs qui souhaiteraient vous imiter comment procéder ? Dans votre second livre traduit en français Le jardin jungle vous parlez de mini-prairies, pouvez-vous nous en dire plus ?
Pendant 20 ans j’ai eu une propriété de 20 hectares de prés en France dans lesquels il y avait très peu de fleurs. Je les ai progressivement transformés en prairies de fleurs sauvages, tout simplement en faisant une coupe une fois par an et en exportant cette coupe en dehors de la prairie, puis en laissant les fleurs sauvages les coloniser. Bien que je ne possède plus cette propriété, la prairie est toujours surveillée et entretenue. Afin de pouvoir comparer, j’ai également semé dans une partie de la prairie : cela a légèrement accéléré le processus, mais des graines étaient sans doute déjà présentes dans le sol. Finalement, c’est plutôt facile : coupez les herbes une fois par an en prenant soin de les retirer, n’utilisez pas d’intrant chimique, patientez et les fleurs s’installeront, suivies des abeilles. Si vous avez un jardin plus petit, vous pouvez au choix laisser faire les choses à partir d’un gazon, ou bien semer des graines. Si vous choisissez cette dernière option, veillez à ce que ce soit des graines de fleurs locales… Vous pouvez également prélever ces graines dans la nature ; du moment qu’elles ne proviennent pas de plantes rares, je ne pense pas que cela perturbe l’équilibre du lieu de prélèvement.
En 2006 vous avez créé le Fonds pour la préservation des bourdons. Quelles sont ses missions ? Il y a de nombreuses études participatives, concernent-elles uniquement les bourdons ?
C’est en effet une association caritative que j’ai lancée avec pour premier objectif de sauver les bourdons. Aujourd’hui, cela va plus loin : tenter de sauver tous les pollinisateurs sauvages en créant et en protégeant les habitats sauvages. Le fonds connaît un réel succès avec environ 12 000 adhérents et une équipe de 50 personnes. Même si c’est vraiment fantastique, cela reste une goutte d’eau dans l’océan, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers.
Bien intentionnés, de nombreux jardiniers souhaitent fleurir leurs jardins en achetant des plants en pépinière. En 2016 avec votre collègue Andrea Lentola, vous avec acheté des plants « spécial abeilles » (campanules, népètes, lavandes, scabieuses…) puis analysé leur nectar. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les résultats de cette étude ? Et quels furent les effets sur les pépinières ?
J’étais suspicieux vis-à-vis de ces plants de fleurs que vous pouvez trouver en jardinerie souvent avec une étiquette « mellifère » ou « spécial abeilles ou pollinisateurs ». Ils sont souvent parfaits en apparence, avec de belles couleurs… nous nous sommes donc demandé s’ils étaient contaminés par des pesticides. Après avoir acheté ces divers plants dans plusieurs chaînes de pépinières, nous avons procédé à des analyses : tous les plans étaient gavés de pesticides, jusqu’à 10 différents par plants dans ce qui est supposé être un plant favorable à la biodiversité ! 75 % contenaient des néonicotinoïdes. Ces plantes sont toxiques, c’est scandaleux qu’elles soient vendues avec un tel label. Nous avons alors commencé une campagne avec Friends of the earth (Les Amis de la terre, ndlr) pour mettre la pression sur ces chaînes de jardinerie afin qu’elles s’engagent à sortir ces produits de leurs plantes ornementales. Malheureusement, nous n’avons pas eu les moyens financiers pour contrôler et suivre leur action. Dans un sens il leur manque une vision plus large, car ils auraient juste retiré les néocotinoïdes pour les remplacer par d’autres produits. Ce n’est pas un problème propre à l’Angleterre car la majorité de ces plantes vendues en pépinière en Europe sont importées, souvent de Hollande. C’est parfois un peu déprimant.
Quel sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
Je prépare une encyclopédie sur les insectes (insectarium) à destination des enfants, qui sera publiée dans l’année. Mes étudiants en doctorat travaillent sur l’impact des pesticides sur les insectes et les oiseaux, et celui du changement climatique — notamment des canicules — sur les bourdons, pour savoir ce que nous pourrions mettre en place afin de limiter leurs répercussions. Nous travaillons également dans les fermes afin de les rendre plus accueillantes pour les pollinisateurs.
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Article rédigé par David Giroux à retrouver dans le quinzième numéro de la revue Abeilles en liberté.
Merci pour l’interview, sympa de savoir ce qu’il s’est passé depuis l’écriture de son livre, que je recommande car il reste plus que jamais d’actualité.