Gardien d’abeilles, formateur en ruches de biodiversité et ruches warré dans les Hautes-Pyrénées.
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Rencontre avec une référence au Royaume-Uni
Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous expliquer comment vous avez découvert le monde des abeilles ?
Je suis biochimiste de formation, puis je suis entré dans la recherche et développement pour l’industrie pharmaceutique, j’avais alors la gestion d’un laboratoire spécialisé dans la guérison des blessures. Alors que je travaillais pour une organisation qui réalisait des conférences sur l’ingénierie génétique, j’ai été invité pour parler de ce thème lors d’une journée organisée par l’association locale d’apiculture, puis j’ai assisté à une de leurs rencontres apicoles.
Une ruche fut ouverte et j’ai été fasciné, j’ai alors acheté quatre nucléi de la souche locale le printemps suivant, petit à petit je me suis retrouvé avec 20 ruches « National Hives». J’ai été formé d’une manière très conventionnelle avec les traitements chimiques de lutte contre le varroa classique. Mais rapidement j’ai été influencé par la lecture des conférences de Rudolf Steiner sur les abeilles, cela m’orienta vers des pratiques plus naturelles.
Quel est le but de vos recherches sur les abeilles ?
La survie des colonies avec le minimum d’interventions et sans utilisation de produits chimiques contre le varroa, tout en m’autorisant un prélèvement de miel, bien que modeste. Ma récolte moyenne sur ces dernières années est de 5,6 kg de miel par ruche.
Vous avez écrit le livre Une ruche respectueuse des abeilles : la ruche Warré. Pourquoi avez-vous choisi spécialement la ruche Warré ? Quels sont, selon vous, ses avantages ?
Lorsque j’ai découvert la ruche Warré en 2006, j’étais déjà intéressé pour accueillir des colonies vivant sur des rayons libres, c’est-à-dire sans cadres, et j’ai donc commencé à transformer mes ruches dans ce sens. J’ai tout de suite été conquis par la ruche Warré et je suis devenu l’un de ses fervents supporters. Ma femme et moi avons par la suite traduit le livre de l’abbé Warré en anglais et l’avons mis à disposition gratuitement sur Internet.
La ruche Warré permet la construction de rayons proches de l’état naturel à savoir que la colonie agrandit les rayons de haut en bas et construit des cellules à la taille qui lui convient, les attachant aux parois comme elle le ferait dans un arbre creux. De plus, comme les éléments sont ajoutés par le dessous, cela suit le développement naturel de la construction des rayons. Je n’y vois que deux bémols par rapport aux constructions naturelles :
- D’une part l’espacement entre les rayons de 36 mm alors que dans la nature il est souvent inférieur.
- D’autre part la présence de barrettes entre chaque élément qui coupe la continuité des rayons. Ce compromis est cependant négligeable comparé à un cadre « classique ».
Le fait d’agrandir par le bas et de récolter l’élément supérieur de miel permet un renouvellement des cires, ce que les inspecteurs sanitaires
reconnaissent comme un moyen efficace d’éviter les pathogènes sur les rayons. Un autre avantage est la possibilité de placer un coussin isolant sur l’élément supérieur séparé du reste de la ruche par une moustiquaire. Cela permet aux abeilles, par l’utilisation de la propolis, de réguler la circulation d’air, d’autant plus si l’isolation est réalisée avec des copeaux de bois qui, d’une certaine manière, reproduisent la partie supérieure d’un tronc d’arbre.
Enfin, ce modèle de ruche est facile à conduire et à construire ce qui lui vaut à juste titre le nom que l’abbé Warré lui avait donné : la ruche populaire. Certains lui reprochent de ne pas pouvoir être inspectée. Au contraire, avec les bons outils, les rayons peuvent être contrôlés aussi aisément qu’avec une ruche à cadres.
Que pensez-vous des autres ruches alternatives ? Ruche paille, ruche tronc et Kenyane ?
Je suis du même avis que l’abbé Warré qui était très enthousiaste concernant les ruches en paille respectueuses des conditions de vie des abeilles. J’ai pour ma part réalisé des dômes en paille pour la partie supérieure de mes ruches hexadécagonales inspirées par les
ruches sauvages de Claude Bralet.
En ce qui concerne les ruches troncs, plus on s’approche de l’architecture de l’arbre creux,plus on propose des conditions de vie aux abeilles similaires à celles dans lesquelles elles ont évolué depuis des millions d’années, on augmente alors les probabilités de survie des colonies après le premier hiver (qui reste le plus aléatoire). Dans ce sens, le projet de« réensauvagement » en Allemagne avec le « Schiffer tree » est un grand pas dans l’amélioration de l’habitat des abeilles. J’avais également étudié la ruche horizontale ou Kenyane à peu près à la même période à laquelle j’ai découvert la ruche Warré. Cependant elle n’a pas retenu mon attention entre autres car elle fut comme son nom l’indique développée pour les pays chauds et me semble moins adaptée au climat tempéré.
Concernant la Warré, les réserves de miel hivernales se situent juste au-dessus de la grappe d’abeilles et donc directement réchauffées alors que dans la ruche Kenyane la colonie devra se déplacer horizontalement pour accéder aux réserves de miel pendant l’hiver. La ruche horizontale nécessite tout de même une gestion des barrettes régulière au risque de ne plus pouvoir les soulever sans casser le rayon.
Quels conseils donneriez-vous à un apiculteur qui pense aider les abeilles par le biais du nourrissement, des traitements, des visites et du remérage ? Lui suggéreriez-vous d’oublier ces pratiques ?
Tout dépend de ce que l’apiculteur souhaite. S’il recherche de grosses productions de miel, à moins d’être dans une région très propice à la production de nectar comme Tim Malfroy en Australie et ses centaines de ruches Warré, il risque d’être très déçu, surtout s’il est habitué à l’apiculture conventionnelle en ruche à cadres. En général des éléments entiers sont prélevés lors de la récolte et les rayons ne sont pas réutilisés, cela représente une grosse quantité de nectar juste pour construire des rayons. La production de miel en comparaison est plus faible que dans une ruche à cadres où les cires sont réutilisées d’une année sur l’autre.
D’un autre côté, si l’apiculteur est enclin à accepter des récoltes plus modestes et en contrepartie à donner aux abeilles des conditions de vie proches du naturel, alors les méthodes classiques évoquées dans cette question sont superflues. Cette approche dans sa version la plus extrême a été nommée l’apiculture Darwinienne ; les clefs de cette méthode sont développées par Tom Seeley dans son livre The live of bees. Cependant elle reste assez risquée surtout concernant le varroa.
Est-ce que la décision de ne pas traiter est difficile ?
Pour un apiculteur débutant avec seulement une ou deux ruches, ne pas traiter contre le varroa peut vite mener à la perte de toutes ses abeilles. J’ai commencé à avoir des abeilles en ruche Warré en 2007 et je ne les ai jamais traitées. J’ai eu de lourdes pertes hivernales les premières années — la pire ayant été une perte de 67 % —, mais j’ai toujours pu remplacer les colonies au printemps suivant. Ma moyenne annuelle de perte est de 16 % depuis que j’ai démarré et seulement de 8 % depuis 2011, ce qui correspond aux pertes moyennes avant l’arrivée du varroa sous nos latitudes.
Si un apiculteur prévoit de passer au non-traitement strict, il est sage de réfléchir s’il souhaite également ne pas nourrir ses colonies à l’automne en cas de mauvais été apicole. L’abbé Warré affirmait qu’une colonie avait besoin de 12 kilos de miel pour l’hiver. Dans ma zone climatique maritime de l’ouest du Pays de Galles, j’ai constaté qu’elles avaient besoin de 9 kilos (9 de mes colonies ont utilisé en moyenne 6,4 kg du 31 octobre 2019 au 31 mars 2020). Certaines colonies ne parvenant pas à faire 9 kg de miel, j’ai fait le choix de les nourrir. Je considère qu’il est difficilement soutenable de multiplier les critères de sélection naturelle ; autrement dit, je préfère ne pas demander aux abeilles de lutter contre le varroa et en même temps, contre d’éventuelles disettes en cas de mauvaises conditions climatiques.
Pensez-vous qu’une seule génération d’apiculteurs suffise à influencer positivement la génétique des abeilles par le biais de la sélection naturelle alors que la souche peut aisément être « polluée » par les ruchers voisins ?
Pour répondre à cette question, il est important de considérer les propriétés génétiques et épigénétiques de toute la colonie. Des expériences ont montré qu’insérer une reine qui a des phénotypes de résistance aux varroas à une colonie qui n’en a pas, ne donne pas toujours une résistance globale de la colonie aux varroas.
Ma sélection naturelle, en ce qui concerne le varroa, a probablement fonctionné car je suis dans une zone où il y a une faible densité de colonies. J’ai des colonies locales adaptées, la zone de butinage est très variée, la plupart des apiculteurs autour de moi ne traitent pas et je laisse mes colonies essaimer ce qui provoque une rupture dans le cycle de reproduction du varroa.
Par contre, d’après mes échanges avec des apiculteurs d’autres régions européennes, il semble que le fait de ne pas traiter soit inutile compte tenu de la forte densité de colonies traitées dans les environs. Ceci étant, j’ai l’exemple inverse avec Fridolin Hesse, qui possède des abeilles Apis mellifera sans aucun traitement dans un rucher suisse de 20 ruches où la densité des colonies environnantes est très importante.
Avez-vous des problèmes avec les frelons asiatiques ? Pensez-vous qu’il faut aider les abeilles ou encore une fois, faut-il laisser faire la sélection naturelle ?
Chaque année il y a de rares cas de nids de frelons asiatiques en Angleterre et ils sont rapidement détruits. En Europe, il y a de plus en plus de témoignages d’Apis mellifera qui se défendraient contre le frelon. Cependant il semble prudent, alors que nos abeilles apprennent ou réapprennent à faire face à la prédation d’un insecte, d’utiliser les barrières physiques disponibles pour réduire la pression des frelons, par exemple des réducteurs d’entrées. En plus de cela, il est probable que la destruction des nids de frelons soit une pratique à poursuivre.
Si vous aviez un seul avis à donner à un apiculteur débutant, lequel serait-ce ?
Ayez au moins deux colonies, ainsi vous pouvez comparer les deux, par exemple en observant les activités sur les planches d’envol.
Quelles sont vos prochaines expériences en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie des abeilles ?
En plus de la douzaine de ruches Warré que je possède, j’expérimente les ruches avec double isolation, les ruches à grands cadres comme la Einraumbeute et le modèle de Fedor Lazutin. En 2021, je prévois de peupler la première ruche en Angleterre en roseau et bois incurvé avec 15 cadres en bois cintré de David Junker.
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Interview de David Giroux à retrouver dans le onzième numéro de la revue Abeilles en liberté.
J’ai écrit 4 ouvrages d’apiculture écologique, notamment le 4e est intitulé : « La ruche Warré – Pour ou contre – Nouvelles perspectives en apiculture écologique » Dans ce livre j’ai étudié la ruche Warré bien plus en profondeur que les autres ouvrages sur la question.
Les titres de mes 3 autres ouvrages :
– Méthode écologique de lutte anti-varroa (méthode inédite) très demandée et vendue par l’intermédiaire des revues apicoles.
– Méthode écologique d’élevage de reines avec une étude de la vie collective de la colonie d’abeilles – nombreuses observations inédites. Cette étude est inspirée des travaux de Steiner sur les 7 processus de vie.
– L’apiculture sans essaimage : une méthode inédite aussi, et publiée après 20 années de recherches et observations.
J’ai eu beaucoup de succès de vente de mes ouvrages, et cela dure maintenant depuis 1992.
André Schwartz
Mon adresse e-mail : andre.schwartz@yahoo.fr
Tél. 03 29 07 02 59
Je suis en accord total avec cet article. C’est ce que nous tentons de propager autour de nous, chacun à sa façon et ses moyens. Voilà qui nous encourage et nous stimule dans nos projets et notre avancée dans l’idée que nous ne sommes pas isolés. Lorsque nos convictions, nos observations convergent ainsi au delà de nos petits territoires, les abeilles ne peuvent qu’en êtres les véritables bénéficiaires. Et c’est cela que nous voulons. Encore merci !
Merci David Heaf pour ce beau témoignage.
Belle source d’inspiration.
Je suis docteur en zoologie, entomologiste, « spécialiste » en Termites supérieurs africains.
Quelques années d’apiculture en RDCongo et au Sénégal et depuis ma retraite il y a 10 ans je dispose d’une dizaine de ruches au fond de mon jardin.
S’y sont développées, des abeilles du terroir.
L’observation, continue, est source d’apprentissage.
D’accord avec vous, apprenons des abeilles.