Biologiste doctorant spécialisé en génétique appliquée, il a écrit plus de 100 ouvrages. Le dernier livre Agriculture chimique et pollinisateurs : signes d’une planète en danger, a remporté le prix national de l’édition universitaire (Association italienne du livre en 2016) et a reçu le prix « Steli di Pace » de l’UJCE en 2023.
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Il existe probablement plus de 1 000 substances actives différentes sur le marché mondial, qui agissent par plus de 100 mécanismes différents connus et ont d’innombrables effets indésirables, dont beaucoup restent à découvrir.3 En 70 ans, les molécules utilisées ont été remplacées par des molécules plus toxiques.4 L’augmentation de la toxicité aiguë des différentes catégories de pesticides au fil du temps a eu pour effet de réduire les quantités pouvant être utilisées pour obtenir le même résultat par unité de surface. À titre d’exemple, aux États-Unis, l’insecticide DDT (organochloré) était utilisé en 1945 à une dose d’environ 2 kg/ha, tandis que 45 ans plus tard, les pyréthroïdes étaient utilisés à une dose de 0,1 kg/ha.5 Les molécules synthétiques telles que les pyréthroïdes, bien que ressemblant à des molécules naturelles, peuvent avoir une toxicité aiguë comparable à celle des néonicotinoïdes. Même en tenant compte des différences de niveaux de toxicité aiguë, qui dans le cas des pyréthroïdes sont au moins plusieurs centaines de fois supérieures à ceux du DDT, l’utilisation des pyréthroïdes aux doses recommandées équivaut à l’utilisation de plusieurs dizaines de kilos de DDT.
Il ne faut pas se laisser tromper par les statistiques montrant une réduction de l’utilisation des pesticides, car il faut tenir compte de leur toxicité équivalente et les comparer. Au fil du temps, les quantités distribuées ont diminué mais la toxicité équivalente rejetée dans l’environnement a été multipliée par dix.
L’une des stratégies proposées à plusieurs reprises au cours des décennies pour réduire les risques consistait à préconiser de privilégier les molécules les moins dangereuses.6 En fait, cette stratégie n’est restée qu’une proposition, puisque c’est exactement le contraire qui s’est produit, comme le montre le tableau ci-dessous.7
Insecticides | Classe chimique | DL50 (ng/abeille) |
DDT | Organo-chlorés | 27.000 |
Amitraz | Produits azotés | 12.000 |
Coumaphos | Organophosphore | 3.000 |
Carbofuran | Carbamates | 160 |
Lmabda-cyhalotrin | Pyréthroïdes | 38 |
Deltaméthrine | Pyréthroïdes | 10 |
Thiametoxam | Néonicotinoïdes | 5 |
Fipronil | Fenilpirazoili | 4,2 |
Clothianidine | Néonicotinoïdes | 4 |
Imidaclopride | Néonicotinoïdes | 3,7 |
DL50 = dose létale capable de tuer 50 % des abeilles exposées en quelques heures.
La toxicité des molécules, au fil du temps, a dû augmenter en raison de plusieurs facteurs intrinsèques aux monocultures : la simplification de l’écosystème agricole (les ennemis naturels ont disparu) et la sélection indésirable de parasites résistants.
Consommation mondiale de pesticides agricoles
En 2021, le Brésil était le premier pays consommateur de pesticides dans le monde, avec 719,5 milliers de tonnes. Les États-Unis arrivaient en deuxième position, avec une consommation de 457,4 milliers de tonnes. La consommation mondiale de pesticides s’élevait à 3,5 millions de tonnes cette année-là. Entre 1990 et 2021, la consommation mondiale de pesticides agricoles a augmenté de 96 %.8 En 2021, le marché européen des pesticides de protection des cultures était évalué à 27,7 milliards de dollars américains.9 En 2023, dans le monde entier, environ 4,3 millions de tonnes de pesticides ont été distribuées.10
Malheureusement, en Europe, la proposition législative sur la réduction de l’utilisation des pesticides a été rejetée cette année. Le règlement sur la réduction des pesticides devait permettre de réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030. Il s’agit d’une nouvelle défaite. L’échec de ce défi confirme l’immense difficulté de la société à se défendre contre ses propres capacités d’autodestruction et en particulier contre les comportements promus par quelques grandes entreprises.
Les pesticides contaminent la biosphère
Les pesticides n’atteignent que très peu leurs cibles et la plupart d’entre eux se déplacent dans l’environnement : entre 0,1% et 0,3% seulement des molécules distribuées dans les champs atteignent l’organisme cible.11 Par conséquent, la plupart des molécules migrent dans l’environnement, l’empoisonnant et générant de nombreux effets secondaires dévastateurs, y compris pour la santé humaine. Les molécules persistantes dans la biosphère circulent (par exemple dans la chaîne alimentaire), ce qui permet de multiplier les effets négatifs dans le temps. On peut dire qu’un processus systématique et constant d’empoisonnement général de l’ensemble de la biosphère est en cours.
Les pesticides peuvent être très persistants et mobiles. Des pesticides distribués aux États-Unis dans les années 1990 ont été retrouvés des centaines de kilomètres plus au nord, en raison de la mobilité naturelle dans la biosphère et des décennies après leur dernière utilisation enregistrée : le chlorpyrifos (insecticide) a été retrouvé dans les glaciers arctiques.12 Certains insecticides organochlorés (DDT, HCH, heptachlore, toxaphène et lindane) peuvent rester dans le sol et les sédiments pendant des années, et peuvent être trouvés dans des zones éloignées comme les profondeurs des océans. Les organochlorés (par exemple HCH, DDT et lindane) sont toujours présents dans les rivières européennes, malgré leur interdiction depuis des décennies.13
« Les molécules persistantes dans la biosphère circulent (par exemple dans la chaîne alimentaire), ce qui permet de multiplier les effets négatifs dans le temps. On peut dire qu’un processus systématique et constant d’empoisonnement général de l’ensemble de la biosphère est en cours. »
Malgré les pesticides, les pertes dans l’agriculture restent considérables
Toutefois, malgré l’utilisation généralisée de ces poisons, un grand pourcentage des cultures est perdu à cause des parasites. Par exemple, 37 % des cultures aux États-Unis sont perdues à cause des mauvaises herbes, des insectes et d’autres parasites.14 Entre 1945 et 2000, l’utilisation d’insecticides (organochlorés, organophosphorés et carbamates) aux États-Unis a été multipliée par 10 et les dégâts causés par les insectes ont doublé (de 7% ils ont atteint 13%). 35% de la production agricole mondiale sont détruits par des parasites, dont 13% sont des insectes : de nombreux parasites deviennent résistants aux substances actives utilisées.
Effets indésirables néfastes
Il est important de se rappeler que les effets létaux chez les organismes cibles, comme les insectes pour les insecticides, se produisent à des concentrations de l’ordre du millionième de gramme par insecte. Des effets néfastes sur la santé humaine peuvent également se produire à de très faibles doses, de l’ordre du millième de gramme ou moins. La distribution de quantités de centaines de grammes ou de kilogrammes par hectare dans le cas de certaines catégories de pesticides revient à contaminer la biosphère avec des bombes chimiques extrêmement puissantes et persistantes. L’utilisation massive de pesticides a engendré un certain nombre de problèmes, notamment :
- La génération de métabolites qui peuvent être aussi ou plus dangereux que les molécules d’origine.
- La persistance des pesticides dans le sol.
- Le développement de mauvaises herbes résistantes aux herbicides. Par exemple, en Australie, entre 13 et 28% des mauvaises herbes (selon la zone géographique) ont connu l’apparition de plantes résistantes (par exemple, les plantes des genres Avena, Bromus et Hordeum).14
- La découverte de plusieurs molécules toxiques dans l’eau potable à des concentrations de l’ordre du microgramme par litre (par exemple, 12 des 43 composés recherchés en Italie sont mesurés à une concentration totale de 0,5 µg/L). En Italie, 224 pesticides ont été trouvés dans les eaux de surface et les eaux profondes en 2016 : on trouve des sites qui contenaient jusqu’à 36 molécules dans l’eau simultanément. 15
- La difficulté de trouver en Europe (et ailleurs dans le monde) des zones non contaminées par des herbicides et des insecticides. Pour donner quelques exemples, déjà en 2010, en Angleterre, au moins un tiers de la surface agricole était traitée avec des insecticides néonicotinoïdes. La même année, aux États-Unis, au moins 33 millions d’hectares de maïs, 31 millions d’hectares de soja et 21 millions d’hectares de blé ont été traités avec des insecticides néonicotinoïdes.
- Les pesticides se trouvent à l’intérieur des colonies d’abeilles d’élevage. Les parasites contre lesquels ils sont dirigés deviennent résistants. Des cas de Varroa résistant à l’amitraz, au fluvalinate et au coumaphos ont été enregistrés en Italie. 16
- La contamination de la chaîne alimentaire. Par conséquent, on retrouve des pesticides dans le cordon ombilical, le sang, l’urine et le lait maternel.
Conclusion
L’utilisation des pesticides a toujours été défendue de manière agressive en les présentant comme une solution pour nourrir le monde. Ces substances font par ailleurs l’objet d’un lobbyisme intense qui a pour finalité de semer le doute et de fabriquer de l’ignorance par instrumentalisation de la science.17 La dépendance à l’égard des pesticides a apporté des avantages à court terme, mais il est clair aujourd’hui que nous compromettons les droits à l’alimentation et à la santé des générations actuelles et surtout futures.7 Il faut également tenir compte du fait qu’une grande partie de la production agricole est utilisée pour nourrir les animaux d’élevage et qu’un tiers au moins devient un déchet. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les problèmes de malnutrition et de sous-alimentation ne peuvent être résolus à l’aide de pesticides mais, au contraire, en mettant en œuvre d’autres stratégies écologiquement durables qui réduisent les inégalités.
Références
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- Rundlöf M, Andersson GK, Bommarco R, Fries I, Hederström V, Herbertsson L, Jonsson O, Klatt BK, Pedersen TR, Yourstone J, Smith HG. Seed coating with a neonicotinoid insecticide negatively affects wild bees. Nature. 2015.
- John Casida and Kathleen A Durkin. Pesticide chemical research in toxicology : lessons from nature. Chemical Research in Toxicology (2016).
- Pietro Massimiliano Bianco (A cura di). Note sull’inquinamento da pesticidi in Italia. ISPRA, PAN Italia, Gruppi Ricerca Ecologica, Università Politecnica delle Marche, ISDE – Medici per l’Ambiente, Università degli Studi di Parma, European Consumers. Dicembre 2017. https://www.isde.it/wp-content/uploads/2018/01/2017.12.-Contaminazione-pesticidi-Italia-finale.pdf (02/04/2024).
- Pimentel David. Environmental and economic costs of the application of pesticides primarily in the United States. Integrated Pest Management : Innovation-Development Process (2009).
- Ye M., Beach J., Martin JW, Senthilselvan A.. Occupational pesticide exposures and respiratory health. International Journal of Environmental Research and Public Health (2013).
- Giuseppe Zicari. Agriculture chimique et pollinisateurs : signes d’une Planète en danger. Biosurveillance par les abeilles. Indicateurs environnementaux de la sécurité alimentaire et de la santé : climat, biodiversité, énergie, fertilité, pesticides et biotechnologies. Youcanprint (2023). https://drive.google.com/file/d/1EFfnamwlUVeIfc9ma5XecqSn1-mzVaOW/view
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- https://www.statista.com/topics/11803/pesticides-in-europe/#topicOverview (09/04/2024).
- Marie-Monique Robin. Il veleno nel piatto. I rischi mortali nascosti in quello che mangiamo. Feltrinelli (2011).
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- Fernando P. Carvalho. Pesticides, environment, and food safety. Food and Energy Security (2017).
- Sharma Anket, Kumar Vinod, Shahzad Babar, Tanveer Mohsin, Sidhu Gagan Preet Singh, Handa Neha, Kohli Sukhmeen, Yadav Poonam, Bali Aditi, Parihar Ripu, Dar Owias, Singh Kirpal, Jasrotia Shivam, Bakshi Palak, M Ramakrishnan, Kumar Sandeep, Bhardwaj Renu, Thukral Ashwani. Worldwide pesticide usage and its impacts on ecosystem. SN Applied Sciences (2019).
- ISPRA. Rapporto nazionale pesticidi nelle acque – 2013-2014. Rapporto 244/2016. http://www.isprambiente.gov.it/it/pubblicazioni/rapporti/rapporto-nazionale-pesticidi-nelle-acque-2013-dati-2013-2014 (08/04/2024).
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- https://www.ilsole24ore.com/art/von-der-leyen-apre-agricoltori-piu-sussidi-e-stop-legge-pesticidi-AFzukccC (09/04/2024).
Un excellent et implacable article sur les poisons agricoles, scandale sanitaire absolu et généralisé à la planète tout entière ! Globalement, les citoyen.ne.s ne prennent pas la mesure de la gravité et de la quasi irréversibilité de l’empoisonnement de tous les milieux, formes de vie et ressources vitales par les agrotoxiques et c’est tout aussi grave, car face à une telle inertie citoyenne, les politiciens déjà acquis/inféodés aux intérêts des multinationales de l’agrochimie ne sauraient réagir, ce que l’actualité confirme avec les récentes régressions gouvernementales sur ces questions… Soutenir les assos qui se battent contre ces fléaux est d’importance ! Générations futures, Pollinis, Secrets toxiques, Agir pour l’environnement, etc.
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