La nouvelle bee-business
Après l’abeille domestique exotique ou hybridée pour une production défiant toute concurrence, après le bourdon industrieux et industriel pollinisateur de tomates en serre, après les hôtels à insectes déco tendance, voilà l’osmie cornue en maisonnette, le nouvel eldorado financier, la nouvelle bee-business !
L’offre est alléchante. Vous commandez une « mai- sonnette » ou un « dorlotoir » à osmies avec plusieurs individus de cette espèce déjà présents… et vous voilà devenus dorloteurs des abeilles, sauveteurs de la pollinisation. Vraiment ?
- Ces maisonnettes à osmies contribuent-elles à la multiplication des osmies ?
Oui, dans un premier temps, puisqu’il s’agit d’une augmentation superficielle et artificielle de la population. Mais cela est probablement sans intérêt. L’osmie cornue est une espèce relativement commune, déjà présente dans toute la France naturellement, car :
– elle est généraliste et butine sur de nombreuses fleurs printanières
– elle s’approprie très facilement les hôtels à insectes de plus en plus nombreux dans les villes et jardins. – elle est peu exigente en termes d’habitat et est bien présente en ville.
Dans un second temps, cela est beaucoup moins évident.
- Ces osmies sont-elles dans un environnement dont les ressources alimentaires sont suffisantes ?
Si c’est le cas, elles sont déjà présentes naturellement dans votre secteur, pourquoi en faire venir d’ailleurs alors que l’on peut favoriser les populations locales ?
- Ces osmies d’élevage sont-elles saines ?
On l’espère ! Si ce n’est pas le cas, et personne ne peut l’assurer, les populations locales sauvages déjà présentes risquent alors au contraire d’en subir les conséquences.
Ces osmies issues d’autres régions de France sont- elles adaptées aux conditions écologiques locales (flore, climat…) et ne vont-elles pas apporter des gènes qui vont fragiliser les populations déjà en place et participer à l’homogénéisation des différentes souches locales ?
Une nouvelle monoculture
- S’agit-il d’un effort pour la biodiversité ?
Non. Après la monoculture d’abeilles sociales et domestiques (abeilles de ruche puis l’élevage et la diffusion massive de bourdons), nous voilà dans une nouvelle zone de monoculture : l’osmie-culture. Une ou deux espèces pour représenter le presque millier d’espèces d’abeilles connues en France, ça fait peu pour parler de biodiversité.
Le véritable effort collectif en faveur de la biodiversité locale est celui de la préservation des plantes sauvages locales liées à des espèces d’abeilles déjà présentes localement et de leurs mi- lieux naturels (habitats) de nidification. Faut-il rappeler que 3⁄4 des espèces d’abeilles sont terricoles ?
- Ces maisonnettes peuvent-elles répondre à un objectif pédagogique ?
Il est vrai que la présence d’un nichoir à abeilles solitaires peut être source d’observations. Après, tout dépend de ce que l’on entend par pédagogie. Au- jourd’hui, de nombreux livres et de nombreuses associations et projets/structures (APICOOL, Anthropologia, SAPOLL, URBAN BEES et bien d’autres) donnent des pistes pour accompagner ou pour fabriquer soi-même, simplement, efficacement et à faible coût des nichoirs à abeilles soli- taires. La boîte à abeilles n’est pas alors un consommable mais un projet intégrant la réflexion, la recherche, la conception et le faire-ensemble.
- Et pour la pollinisation en verger ?
Une étude suisse a en effet démontré l’efficacité des osmies en matière de pollinisation des fruitiers. Encore une fois, si les vergers sont sains et équili- brés d’un point de vue végétal (dans un contexte de prairies naturelles et de bocages) les abeilles sont déjà présentes en diversité et en quantité. S’il n’y en a pas, il y a peut-être des questions de fond à se poser quant à la gestion du verger (espaces naturels, traitements,…). Il reste possible de favoriser les abeilles caulicoles comme les osmies en implantant un nichoir à abeilles solitaires à proximité. Elles le coloniseront alors très rapidement d’elles-mêmes si l’environnement est sain.
- Renvoyer le nichoir à « dorloter » ?
L’installation de nichoirs artificiels achetés ou faits-maison s’accompagne souvent et très rapidement d’un fort taux de parasitisme des individus contribuant ainsi à la fragilisation des différentes espèces qui le colonisent surtout lors- qu’il s’agit de gros modules.
Faut-il pour autant déparasiter ? Aseptiser un mi- lieu le rend-il plus résilient ? Il s’agit là de créer un besoin artificiel basé sur le contrôle de la nature qui est surtout une bonne initiative pour dorloter les portefeuilles de quelques-uns en jouant sur une corde sensible. Ne cédez pas à l’ « Osmiegreenwashing » ! Économisez votre argent et votre temps. Observer la nature et les abeilles autour de vous. Fabriquez votre nichoir vous-même, privilégiez plusieurs petits nichoirs séparés plutôt qu’un hôtel géant et laissez place à un peu plus de nature pour le reste. Plantez des haies champêtres et laissez les ronciers… laissez du bois mort avec des galeries d’insectes xylophages, les osmies y trouveront les tiges et cavités nécessaires à leur nidification ! Et tout ira bien mieux tout simplement !
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Article rédigé par Karine Devot et Guillaume Lemoine dans le huitième numéro de notre revue.