Rédacteur en chef de la revue Abeilles en liberté, ancien formateur en apiculture naturelle.
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Bonjour 1011, pourriez-vous vous présenter en quelques mots et quelques dates ?
Je suis née en Bretagne en 1970. J’ai obtenu une maîtrise d’arts plastiques & histoire de l’art à l’université de Rennes. J’ai été co-responsable des ateliers d’arts plastiques du musée de Grenoble pendant 30 ans et suis actuellement en disponibilité de cette fonction pour me consacrer pleinement à la création. D’autre part 1011 est constitué de deux membres : un philosophe et moi-même.
D’où viennent vos choix de thématiques ?
Tous les sujets qui me hérissent lors de mes lectures ou d’émissions de radio (j’écoute beaucoup la radio quand je dessine.) J’ai plusieurs sujets de prédilection : l’histoire (la déshumanisation intégrale dans la Shoah), les violences culturelles spécialement faites aux femmes, l’aveugle fascination pour la technologie… (l’environnement).
Quelles sont vos principales sources d’inspiration dans l’histoire de l’art ?
Je suis passionnée par la peinture hollandaise et flamande du XVIIe siècle. Avec une prédilection pour les natures mortes et les vanités qui sont chargées de symboles. J’aime les décrypter. J’ai aussi une admiration pour Anna Maria Sibylla Merian, femme naturaliste, artiste peintre et voyageuse du XVIIe siècle.
Et bien sûr des artistes contemporains engagés comme Barbara Kruger, Kader Attia ou Christian Boltanski.
Une artiste engagée est-elle une artiste comme les autres ?
Dans l’art contemporain, l’engagement est souvent peu exprimé. Les galeries et espaces d’expositions privilégient peu cette forme d’art contemporain. Quelques rares plasticiens « militants » arrivent à montrer leur travail et à faire bouger les lignes. Je ne me distingue pas de ceux-là. Mais la route est plus longue et plus difficile pour celles et ceux qui ont choisi cette voie particulière de l’engagement. Combien de galeries ont rejeté mon travail avec l’argument : « Beau travail mais trop engagé, vous allez faire fuir la clientèle. » !
D’autant plus que je brouille les cartes car j’expose souvent en dehors des centres d’art, c’est ainsi que j’ai montré mes créations dans des centres hospitaliers, des établissements scolaires ou des manifestations environnementales… Mais cela est regardé d’un drôle d’œil par le milieu culturel et artistique.
Selon vous quel(s) atout(s) possède l’artiste pour parler de la réalité écologique contemporaine (que n’auraient pas les scientifiques, les journalistes ou les militants) ?
Il me semble que les artistes sont en capacité de rendre sensible le problème. J’ai fait une exposition au Muséum de Genève intitulée « tout contre la Terre » dont le propos était de créer de l‘émotion et non de mettre le public en face d’énièmes données qu’il ne retiendra pas. C’était une jolie idée : apporter de l’émotion face au désastre environnemental. L’exposition a été un succès.
Dans la série Vous êtes ici vous donnez à voir des abeilles mellifères et des bourdons morts. Qu’est-ce qui se joue d’un point de vue artistique dans ce travail ? Qu’espérez-vous susciter chez le public avec la technique employée et la mise en scène de ces insectes ? En quoi est-ce différent en termes d’impact par rapport à la photographie ?
Cette série de dessins aux crayons de couleur évoque, par une suite d’abeilles mortes, la pollution par les substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. Sous chaque dessin est inscrit un prénom. Le prénom le plus donné dans chaque pays des plus gros utilisateurs de pesticides en 2018. Zi Yang pour la Chine, Emma pour les USA, Sakura pour le Japon…
Le public est touché par ces petites abeilles mortes que l’on ne regarde généralement pas de près. L’utilisation du dessin plutôt que la photo participe de cette volonté de toucher la sensibilité du public. Le crayon de couleur est une technique simple et abordable par tous. De plus, le titre Vous êtes ici interroge individuellement le visiteur avec ironie sur sa proximité avec le risque. Ce titre est un euphémisme, il peut aussi signifier : Nous en sommes là.
Dans la série La Robe de Médée vous avez dessiné des cadavres d’animaux, de poissons et d’insectes qui évoquent une démarche scientifique, mais détournée. Quelle était votre intention dans cette série ?
La série est composée de plusieurs dessins réalisés à partir de spécimens conservés au Muséum de Genève. Seules les étiquettes diffèrent. On n’y lit pas les noms des animaux, comme il est d’usage dans l’étiquetage scientifique, mais la raison de leur disparition.
L’animal n’est plus qu’un numéro d’inventaire mais on peut lire sur les étiquettes : « Raréfaction en lien avec l’usage des pesticides », « Empoisonnement des sols », « Disparition des habitats naturels aquatiques » ou encore « destruction des habitats naturels ».
Comment vous démarquez-vous des planches naturalistes ?
Mes réalisations ne se veulent pas scientifiques. Les naturalistes utilisent l’échelle un pour les représentations de la faune ou de la flore. Pour ma part, j’agrandis énormément le sujet afin de donner à voir les détails que même le spectateur attentif de la nature ne regarde pas habituellement ou ne peut pas voir. Mes dessins sont alors comme des portraits où l’on peut scruter tous les infimes détails et faire connaissance avec le vivant ! Comme on rencontrerait un ami.
Votre technique de dessin aux crayons de couleur interpelle. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
J’utilise des crayons de couleur, une anomalie pour des formats aussi grands ! Cette pratique du dessin est donc très lente et constitue symboliquement l’essence du regard sur la nature. Pour moi personnellement, un véritable moment de méditation…
C’est aussi en lien avec la nature qui prend son temps. Un pied de nez à notre époque, qui en revanche, n’est pas à proprement parler une époque de la lenteur…
Comment parleriez-vous de la réception par le public de votre travail ?
La technique du crayon de couleur permet à chacun de s’approprier mon travail. Cette technique parle à tous, car qui n’a pas tenu un crayon de couleur dans les mains ? C’est en plus un outil de l’enfance. Je parle à leur souvenir, peut-être même à leur cœur d’enfant…
Le public voit d’abord la beauté du vivant et puis la tragédie arrive : l’animal est mort, la fleur est fanée, l’insecte est recroquevillé, décimé par les insecticides…
Le pouvoir politique écoute rarement les lanceurs d’alertes, et quand ils les écoute, propose des solutions techniques qui s’insèrent pleinement dans le système produisant les nuisances, sans remise en question. Quelles sont les chances pour les artistes d’être plus écoutés en tant que lanceur d’alerte ?
C’est une bonne question, mais je crois prêcher un peu dans le désert… Les crayons de couleur ne sont pas une arme bien redoutable ! En revanche, toucher les consciences des gens pas à pas est une approche à laquelle je crois bien plus sûrement. C’est de la politique au sens large du terme.
Comment le travail des scientifiques nourrit-il vos créations et comment pensez-vous le rôle de la science dans l’éveil des consciences ?
J’ai rencontré quelques scientifiques tout au long de mes réflexions préalables à ces créations. Concernant les abeilles, j’ai pu avoir de longues discussions avec notamment le biologiste Gérard Arnold2,3 du CNRS qui lutte sans cesse contre les produits phytosanitaires destructeurs d’abeilles. Il est à l’origine du rapport qui a permis l’arrêt du Gaucho (Imidaclopride). Un exemple !
Quels sont les liens qui existent selon vous entre les pesticides de synthèse et l’hégémonie de la technique ?
Je citerais simplement Albert Einstein : « Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mise dans les mains d’un fou. »
La création vous permet-elle d’échapper à l’éco-anxiété ?
Oui ! j’en suis persuadée. Ne rien faire serait trop douloureux et mes lectures sur chacun des sujets que je traite m’aide énormément, autant à nourrir ma pratique, qu’à comprendre ce qui nous arrive.
Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?
La résilience de la nature… jusqu’à un certain point de non-retour !
Références
- Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, Schwan H, et al. (2017) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE 12(10): e0185809.
- http://theconversation.com/interdiction-des-insecticides-neonicotino-des-pourquoi-a-t-il-fallu-attendre-plus-de-20-ans-95759?utm_medium=email&utm_campaign=La lettre de The Conversation France du 2 mai 2018 – 100738787&utm_content=La lettre de The Conversation France du 2 mai 2018 -100738787+CID_811dc68e2e7c0991f087d672fc5f46be&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=Interdiction des insecticides nonicotinodes pourquoi a-t-il fallu attendre plus de 20 ans
Oh! ma belle! Comme je suis fiere de toi!
Le monde a beaucoup plus besoin d’art et d’education que de nouvelles facons de detruire la planette.
Tes dessins viennent directement de ton coeur et touchent mon coeur a l’autre bout de la Terre.
Une Grande Artiste sincèrement engagée, honnête et au-dessus de toute stratégie mercantile.
Une Grande Dame de l’Art Contemporain.
Quel talent ! Et pour la bonne cause, ce message a faire passer est très important ! Merci pour cet article très intéressant 😉