Autant que faire se peut, elles doivent être préservées sur place et protégées, mais si l’arbre au creux duquel elles se sont logées doit être abattu, un sauvetage et un déménagement sont toujours possibles. Voici le récit d’une opération de ce genre.
Opération dans l’Est du Canada
Comme partout en Amérique, l’abeille mellifère n’est pas indigène dans l’Est du Canada, mais il reste que l’apiculture y est pratiquée depuis plus de deux siècles. Il arrive donc parfois qu’un essaim s’étant échappé d’une ruche trouve, en forêt ou ailleurs, une cavité d’arbre convenable où s’installer. Si les conditions nécessaires sont réunies, des abeilles réussissent à se reproduire et à survivre durant plusieurs générations en l’absence de toute intervention humaine, c’est-à-dire, notamment, sans traitement antiparasitaire, sans nourrissement et sans renouvellement des cires. S’ensauvageant ainsi, ces abeilles retrouvent, acquièrent ou développent progressivement des traits qui finissent par s’inscrire ou se réinscrire dans leur bagage génétique. Probablement moins rares qu’on pourrait le croire, les peuplades d’abeilles ensauvagées représentent donc du matériel génétique de première classe pour l’apiculture. Assez curieusement, les chercheurs et les producteurs de reines ne semblent pas s’y intéresser.
Je n’ai, quant à moi, pas hésité un seul instant à saisir l’occasion que m’a offerte un résident de Cantley, au nord de Gatineau, au Québec, début août 2019, de sauver la peuplade d’abeilles qui, depuis au moins sept ans, logeait au creux d’un grand pin blanc devenu dangereux et destiné à être abattu. Une fissure était visible jusqu’à une bonne hauteur le long du tronc, et l’entrée du nid d’abeilles correspondait à une fente dans la continuité de cette fissure, à 5 m au-dessus du niveau du sol. L’arbre avait environ 20 m de hauteur et environ 60 cm de diamètre à la hauteur du nid d’abeilles, orienté nord-est.
Ma réflexion et mes consultations auprès d’amis apiculteurs et de l’élagueur engagé par le résident ont abouti à la décision de louer un camion-grue muni d’une flèche de 7,5 m pour récupérer le tronçon de l’arbre où se trouvait le nid d’abeilles, le transporter, puis le réinstaller à côté de ma maison de Gatineau, une douzaine de kilomètres plus loin, avec l’objectif de déranger le moins possible les abeilles.
L’abattage de l’arbre et la récupération du nid d’abeilles ont eu lieu le 5 septembre. Le nid d’abeilles s’étant avéré plus volumineux que prévu et compte tenu des contraintes de longueur et de poids de la bille de bois à récupérer, il a fallu tronçonner le bas des rayons. Une fois récupérée, la bille de bois renfermant la plus grande partie du nid d’abeilles a été boulonnée le lendemain à 3,5 m au-dessus du niveau du sol, à une plaque de fixation soudée au bout d’un poteau en acier fixé dans le béton jusqu’à une profondeur d’environ 1,5 m dans le sol. Il en résulte une sorte de sculpture qui, bien visible du trottoir devant chez moi, a quelque chose d’ostentatoire et que j’ai appelée « Totem aux abeilles ». Le plus important c’est que le nid d’abeilles récupéré participera à l’amélioration génétique des abeilles à quelques kilomètres à la ronde en milieu urbain.
Les photographies ci-dessus montrent les principales étapes de l’opération de sauvetage et de déménagement. Pour le moment, les abeilles semblent s’être bien adaptées au déménagement de leur nid. Reste à voir si elles survivront au prochain hiver. Je termine en remerciant vivement Denis Gour de m’avoir donné cette occasion inouïe ; mes amis apiculteurs Vincent Bouhéret, André Gaudreau et Éric Monastesse de l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée et de l’enthousiasme qu’ils ont manifesté lors de l’opération ; et l’élagueur Dan Kelly de son aimable collaboration.
Article rédigé par Daniel Hamelin dans le sixième numéro de la revue Abeilles en liberté.
Superbe sauvetage !